Un nouveau poète s'en est allé, assez jeune, Mohamed Aouragh, qui s'était installé en Savoie il y a de nombreuses années, et qui l'aimait profondément. Il racontait qu'au Maroc, dont il venait, il avait eu un professeur savoyard, et qu'aucun autre de ses maîtres ne l'avait plus marqué, parce qu'il lui avait présenté la poésie de Lamartine, dont il était amoureux. À son tour, il fit des poèmes, et vint en Savoie, près du lac du Bourget. Il est mort il y a quelques jours, de façon pour moi inattendue.
Car je l'ai rencontré au festival de poésie de montagne organisé, en août 2018, à Queige, au-dessus d'Albertville, par Patrick Jagou, et j'ai été frappé par la beauté de sa voix lorsqu'il lisait en arabe ses poèmes, dont immédiatement ensuite son ami Patrick Chemin, autre poète savoyard majeur, lisait une traduction. Il y chantait le souvenir ébloui du Maroc et du haut Atlas, l'atmosphère spirituelle qui imprégnait ces montagnes, et la mémoire se chargeait en lui de sentiments mystiques, tendres et pleins d'amour.
Plein d'amour, il l'était lui-même, d'une gentillesse illimitée, enthousiaste et lumineux, et on pouvait parler avec lui de mille choses. Je l'ai revu à un salon du livre de Moûtiers, si ma mémoire est bonne, et nous avons conversé avec grand agrément de la langue arabe, peut-être du Coran, des voyelles longues et des voyelles brèves qui font de l'arabe une langue orientale et antique – qui le rapprochent du latin et du grec.
Sa vivacité et sa jovialité ne laissaient en rien deviner qu'il nous quitterait si vite, et la nouvelle de sa mort fut une surprise, cela la rendit d'autant plus amère et désagréable, sinistre. Nous sommes peu de chose.
Mais le souvenir de son visage restera comme l'enveloppe d'un esprit pur – il fera converger vers soi les rayons de la divinité, les rayons vivants du très haut, dont chaque exemplaire est un messager doué de conscience, de pensée – est une personne.
Je pense aussi à Patrick Jagou, qui a ainsi perdu le deuxième poète ami ayant participé à son festival de Queige, après Sang-Tai Kim, le Coréen. J'espère qu'il n'y a pas une malédiction sur ce festival qui fut formidable, que les poètes présents ce jour-là n'ont pas bravé un interdit secret, n'ont pas dérangé un lieu sacré, une cité de trolls vindicatifs. Car en ce cas, qui sera le prochain? Moi, peut-être.