Isaac Asimov (1920-1992) se disait athée, mais la clôture de son cycle Fondation a surpris: il y imagine une conscience galactique, une entité à l'échelle de l'empire de Trantor dont il a raconté l'histoire. Cela fait évidemment penser à Olaf Stapledon (1886-1950) qui, dans Star Maker, imagine que les nébuleuses ont une âme, qu'elles sont le corps d'êtres pensants. C'est assez grandiose, parce que cela transporte l'animisme dans le futur et le tableau du monde tel que l'établit la science moderne. Or, les meilleurs auteurs de science-fiction font cela: leurs pensées projetées dans le futur, vers la fin des temps, y trouvent Dieu, ou des expressions de la conscience cosmique intermédiaires; même la méditation sur des machines qui évoluent à l'infini finit, comme chez Arthur C. Clarke, par trouver l'esprit qui se meut sans corps physique distinct.
On pourrait critiquer: c'était bien la peine de faire toutes ces recherches sur le lointain futur ou le lointain cosmos pour en arriver aux mêmes conclusions que l'ésotérisme classique. Rudolf Steiner, de fait, disait que le système solaire, seulement lui, était en réalité un grand être à l'intérieur duquel nous vivions, un grand organisme dont les parties visibles sont les organes. Inutile, pour Steiner, de se projeter dans l'avenir pour concevoir l'esprit cosmique; inutile de se projeter dans une galaxie que nous ne pouvons pas voir directement, que nous ne pouvons appréhender que par des machines ou par les concepts – puisque de notre galaxie, nous ne voyons, directement, que la Voie lactée. Ce que nous voyons à l'œil nu suffit à la perspective spirituelle!
Nous voyons, à l'œil nu, les étoiles planétaires – et la confusion, entre la réalité et les images obtenues par les machines ou l'abstraction, est si grande, que les enfants croient souvent, à l'école que ce n'est pas le cas, parce qu'à l'œil nu Mars par exemple ne leur apparaît pas comme une planète de science-fiction, mais comme une simple étoile, donc.
J. R. R. Tolkien reprochait aussi aux auteurs de science-fiction de ne concevoir le merveilleux qu'à travers des machines – vaisseaux spatiaux menant illusoirement vers un monde plus beau. Et de fait, c'est parce que l'avenir conçu par Asimov contient des moyens de transport permettant de parcourir toute la galaxie que cet écrivain (que cependant Tolkien aimait, et que j'aime aussi) a osé imaginer un esprit galactique.
Tolkien aimait aussi La Machine à explorer le temps de H. G. Wells, même s'il détestait la machine en soi, parce qu'il appréciait le futur découvert par le héros, de nature à ses yeux féerique – au sens propre, d'imagination morale.
Cependant il y a des gens qui vivent tellement dans les machines et les illusions qu'elles créent qu'il reste beau que, à l'intérieur de ce qu'elles projettent comme réalité virtuelle ou mécanisée, les écrivains les plus géniaux parviennent encore à concevoir l'Esprit! Asimov avait inventé un robot immortel, gardien de la Civilisation; et il rappelait que sans lui l'Évolution était impossible: il lui était absolument nécessaire. Mais il n'en était aucunement suffisant pour autant. Le moteur profond de l'Évolution, disait-il encore, restait la liberté humaine, surgissant mystérieusement de l'Infini. Magnifique. À méditer.