Ce texte fait suite à celui appelé Le Surprenant Message, dans lequel je rapporte que, ayant négligé de surveiller ses arrières, mon double Radûmel a été transpercé de plusieurs coups.
Mon désespoir était complet. Je me retournai en titubant – et ils étaient là, tous les cinq. Seul manquait celui que j'avais tué.
Ils me regardaient, et leurs yeux de braise me transperçaient presque autant que leurs armes. Mon incompréhension était totale. Comment l'être du temple avait-il pu laisser faire une chose pareille? Sa délivrance ne signifiait-elle pas la victoire sur les êtres de la fissure?
Sans rien dire les monstres maintenaient les yeux fixés sur moi. Je tombai sur un genou. L'un d'entre eux, celui qui avait un groin de sanglier, s'avança, et il tenait une épée, large et lourde dans sa main ferme. Il la leva, et me décapita.
Je sentis ma tête voler, mais ma conscience ne s'était pas arrêtée, aussi curieux que cela paraisse. Certes je passai par une noirceur sans nom, qui me vint aussitôt après ma mort. Je vis défiler devant moi toute ma vie, longue de plusieurs siècles, et puis les ténèbres vinrent, profondes et épaisses.
Si cela dura longtemps, je ne saurais le dire. Comme rien n'advenait, le temps ne passait plus.
Et puis soudain je vis un être lumineux s'avancer vers moi. D'abord étoile il se changea en être, et arrivé près de moi il me tendit la main, et je pris cette main dans la mienne, faite d'ombre. Il se rapprocha encore et m'enjoignit à le suivre par une pression de sa main, et je le suivis. Mais après quelques pas, il se retourna vers moi, et passa sa main en haut de mon dos, saisissant là quelque chose qui dépassait. Et il tira, et je ressentis la plus vive douleur que j'eusse jamais ressentie. Je criai, tentai de le repousser, mais il continuait à tirer, et son visage était devenu grave et sévère, dur et méchant. Il tirait au-dessus de lui, et je ne voyais ce qu'il tirait, mais je sentais quelque chose partir de moi, et cela m'effrayait, en plus de me faire sentir la plus vive des douleurs. Finalement il l'arracha complètement, et je vis dans sa main s'enrouler quelque chose, avant de perdre conscience.
Lorsque je repris mes esprits, peut-être l'instant d'après, je me sentais dans une main énorme, et je voyais, en bas, sur le sol, un corps sans vie, une forme vide qui avait été la mienne. Mais cette fois je ne me voyais plus de corps; je n'étais qu'une volute, un courant, une eau qui eût coulé sans se disperser, et qui demeurait dans la main de l'ange, grande comme une terre. Et je voyais son immense visage penché sur moi, avec ses yeux éclatants. J'en fus encore plus effrayé qu'auparavant.
Il se pencha vers moi, et souffla. Je reçus son souffle chaud, qui me parut être une flamme. Et je me sentis évaporer, grandir, me dilater, remplir l'espace.
Au loin, sous moi, le temple où j'étais mort m'apparut, à son tour. Il brillait dans l'obscurité de la Terre. Je rapprochai mon œil, qui pour voyager n'avait plus de limites; en même temps, il pouvait se détacher du reste – du reste de mon corps. Je le plaçai dans le temps, curieux de ce qui était advenu à mon corps physique.
Comme à travers un brouillard je vis les monstres entourer mon corps décapité.
(À suivre.)