J'ai suivi, cette année, un cours sur la Nouvelle Héloïse de Jean-Jacques Rousseau pour préparer l'agrégation de littérature, et le professeur qui en avait la charge et que je ne nommerai pas m'a surpris en affirmant qu'on ne pouvait pas comprendre l'idée de l'enfer éternel.
Plus précisément, c'est apparu de la manière suivante. Julie, l'héroïne de Rousseau, se plaint que son mari est athée, et dit en craindre l'effet sur leurs enfants. Mon aimable professeur déclara à ce sujet qu'il ne comprenait pas la réaction de Julie, puisque le mari est un homme vertueux qui a des principes éducatifs sains. Moi, naïvement, j'ai cru qu'il ne comprenait vraiment pas, j'ai failli lui envoyer le passage où Julie s'en explique, avant de m'apercevoir que, dans un cours qu'il avait envoyé par Internet, il citait exactement le même passage. Étonnant. Car ce passage dit explicitement que M. de Wolmar, le mari, donc, ne peut, dans l'éternité, recevoir la bénédiction divine: après sa mort, il est forcément damné – soit qu'il vive dans l'enfer éternel, soit, plus probablement (dans l'esprit de Rousseau), qu'il soit détruit complètement, que son âme le soit à jamais, parce qu'ayant rejeté Dieu, Dieu choisit de l'anéantir. Cela fait à mon sens allusion au passage de l'Évangile évoquant le péché le plus grave de tous, et auquel il ne sera pas accordé de pardon: la blasphème contre l'Esprit-Saint.
Julie a simplement peur que ce péché se transmette à ses enfants, et qu'ils soient damnés à leur tour, et qu'elle ne puisse plus jamais les fréquenter dans le monde divin – car elle dit clairement, par ailleurs, que les âmes qui s'aiment ont une relation directe, même sans corps, comme elles en ont une avec Dieu, si elles le reconnaissent comme leur père aimant. Tout cela est dit avec netteté dans La Nouvelle Héloïse. Rousseau y croyait. C'est évident. Et c'était relativement conforme à la doctrine de François de Sales, que Mme de Warens lui lisait à Chambéry, lorsqu'elle exécutait auprès de lui la mission qu'elle avait reçue du clergé. Mais, curieusement (ou pas), les professeurs fonctionnaires de la République (française) semblent hermétiques à ces réalités philosophiques ressortissant assurément à la théologie.
Me croyant malin, j'ai, dans la dissertation qualificative qui a suivi, rappelé ces faits tout bonnement: je pensais pouvoir me venger, en quelque sorte. Mais cela n'a pas marché, on pouvait le prévoir.
Quand on aborde la question du paradis et de l'enfer, dans l'université française, on est facilement en dehors du sujet, quel que soit le sujet. Il est de mise de dire qu'on ne comprend pas ces mystères, qu'on ne doit pas parler de la vie après la mort, même si les auteurs étudiés en parlent et ont l'air de s'y intéresser fortement – comme c'était le cas de Rousseau. C'est la réalité des études en France. Il faut bien l'admettre. L'hymne à l'amour que constitue La Nouvelle Héloïse est bien aussi un hymne aux âmes détachées des corps qui, en Dieu, se retrouvent dans le bonheur infini, auquel ne peuvent accéder les athées, au grand jamais, quelles qu'aient été leurs qualités en cette vie. C'est la pensée réelle de Rousseau, qu'on ne peut pas nier, même si elle fait mal aux agnostiques qui en France tiennent le haut du pavé – et qui, indûment, se réclament d'une république qui a bien mis Rousseau au Panthéon.
Faisant de lui, avec d'autres, le guide immortel du Peuple!