Stéphane Foucart (journaliste au Monde) assure, dans son livre Les Gardiens de la Raison, que le philosophe Gérald Bronner est dans l'idée que l'important, au sein de la civilisation actuelle, est de développer les ressources techniques nécessaires à la protection de l'humanité contre les dangers naturels qui le guettent depuis le ciel – en particulier la chute d'une météorite. Je ne sais pas si c'est vrai, mais il est curieux qu'un sociologue qui a été chargé par le gouvernement français d'établir un rapport sur le complotisme s'adonne à son tour à la croyance en un complot du ciel contre l'humanité.
Je ne sais si Gérald Bronner évoque, comme c'est la mode, les dinosaures assassinés. Je pense que, inconsciemment, il est marqué par le récit de Sodome, dans la Bible: elle est réputée avoir été détruite aussi par le feu du ciel – à la suite d'une décision de Dieu homophobe.
La figure en a été reprise par Corneille dans Horace, car une Romaine, amoureuse d'un Sabin tué par son frère, y appelle sur sa cité le même feu du ciel. Évidemment, c'est elle qui est punie, par la technologie du temps: le frère la transperce de son épée, efficacement forgée par la conjuration des efforts nationaux en vue de l'amélioration de l'armement public.
Cette idée d'un cosmos hostile est, de fait, profondément ancrée dans l'inconscient de l'ancienne Rome. En toute conscience, de grands philosophes comme Cicéron vous disent que les lois romaines ont été calquées sur la sagesse des dieux, telle que les étoiles la transmettent et l'expriment. Il reprenait, en disant cela, Platon et Aristote. Mais, au-delà de cette pensée grecque noblement répandue, et que reprendront des philosophes chrétiens tels que Boèce, il y a, dans l'ancienne Rome, un courant proprement ahrimanien, comme aurait dit Rudolf Steiner: l'idée que la volonté humaine doit s'imposer aux dieux, qui sont mauvais, et bâtir une cité qui doit se protéger non seulement de la nature terrestre environnante – des fauves tueurs, des plantes invasives et des brigands meurtriers –, mais aussi du Ciel, d'où peuvent venir des punitions injustes, et impropres à laisser l'homme libre de faire ce dont il a envie!
Cette forme de paranoïa cosmique s'est poursuivie à l'époque moderne, et elle s'exprime imaginativement avec beaucoup de force dans la culture américaine, notamment dans la science-fiction. Le sens profond de la mythologie démoniaque de H. P. Lovecraft n'avait pas d'autre source – lui-même le reconnaissait, en se réclamant constamment de l'ancienne Rome, et de sa civilisation fabuleuse. La mythologie futuriste du grand Isaac Asimov a encore la même origine – qu'il reconnaissait aussi, affirmant s'être inspiré de Gibbons, grand historien anglais de l'ancienne Rome: Asimov a transposé son histoire reprise des historiens antiques dans la galaxie, y imaginant un empire. La capitale, Trantor, a un dôme bien connu, destiné à la protéger des méfaits du ciel, et à s'assurer des conditions idéales par la technologie seule, par l'artifice pur: en quelque sorte, elle se crée un soleil et une lune propres, pour rendre l'être humain collectivement indestructible.
Cette orientation générale de l'ancienne Rome a bien sûr été condamnée par le christianisme, qui y a vu un manque de foi – avant qu'il ne se rallie plus ou moins à elle, en faisant de la ville moderne le nouveau centre immortel où vit un Dieu animé jusque contre les étoiles (auxquelles cette religion ne croit plus). On en trouve un écho chez Pierre Teilhard de Chardin, qui liait l'esprit cosmique à la matière terrestre et le progrès à la technologie, de manière profonde. C'est intéressant. Je ne suis pas en train de maudire tous ces grands écrivains, de condamner une pensée. Mais je ne la partage pas. Comme l'ancien christianisme, je pense que c'est lié à un manque de foi. Les étoiles restent d'ailleurs la seule source de lumière naturelle, en ce monde, et leur éclat est infiniment plus pur et plus beau, plus émouvant que celui de l'électricité.