Beaucoup de professeurs d'université, doués depuis leur tendre enfance du talent de la composition, n'ont jamais eu de difficultés excessives à avoir leurs postes, puisque c'est sur ce talent qu'on est jugé, lorsqu'on passe les principaux examens pour devenir professeur. Le style est secondaire, toutefois il permet de départager les professeurs entre eux, car il donne quelques points, ou en enlève. Donc, comme les professeurs se retrouvent en une petite communauté choisie, fièrement unie par la réussite aux concours et leur talent de la composition, ils se mesurent entre eux selon la capacité au style, et se piquent tous plus ou moins d'en avoir un meilleur que les autres, ou d'en savoir plus sur ce sujet. Il ne vient pas à beaucoup de s'occuper d'invention, comme le faisait la rhétorique classique, car cela ne permet pas vraiment d'avancement. C'est même plutôt dangereux, car trop d'originalité pourrait être assimilé à de la subversion. En France, notamment, relier la littérature et la philosophie à la religion ou à la théosophie semble contrevenir au sacré principe de laïcité, et l'originalité dirigée systématiquement vers les mystères de la sexualité est passée de mode.
Il reste donc le style, pour se départager, et les professeurs se scrutent pour savoir qui a le plus beau, qui plaît le plus par sa diction ou son langage - et pourrait, le cas échéant, recevoir les plus purs éloges de Gustave Flaubert sous ce rapport.
C'est évidemment le cas en particulier des professeurs de lettres voire de philosophie, puisque, lisant et étudiant de grands écrivains, on attend d'eux qu'ils aient des compétences en beau style. C'est dans leurs départements que l'on attribue deux ou trois points, dans les notes aux concours, au beau style. Et ils en dissertent en cours même, et j'ai entendu souvent, à cet égard, des affirmations assez absurdes, car certains en font pour se démarquer – bien que, en tout état de cause, le style des professeurs de lettres reste en moyenne inférieur à celui des écrivains authentiques. Beaucoup critiquent par exemple le style de Michel Houellebecq mais il est assez clair que Michel Houellebecq leur est sous ce rapport très supérieur – en général.
Un spécialiste de J. R. R. Tolkien a un jour critiqué publiquement mon style, alors que, dénué d'invention, il passe son temps à cacher la dimension spirituelle et ésotérique de son auteur de prédilection, cela m'a fait un peu rire. Il n'a pas écrit lui-même un seul recueil de poésie ou un seul récit de fiction, on ne sait pas d'après quoi il peut bien juger, quelle compétence il a montré.
Mais ce qui m'a fait rire plus récemment est la prétention d'un professeur que je ne nommerai pas et qui a affirmé, dans un cours auquel j'ai assisté, que le verbe apprêter ne pouvait s'entendre qu'ironiquement, depuis que Flaubert l'avait utilisé ainsi. Piqué par la curiosité je suis allé regarder le dictionnaire, qui n'admet absolument pas que l'ironie soit obligatoire dans ce mot, et je me demande vraiment quelle est la prétention de ceux qui pensent pouvoir créer une langue plus littéraire que la langue ordinaire, en se situant dans une sorte de secte flaubertienne indépendante du dictionnaire, qui pourtant a un caractère légal. À cet égard, Flaubert est souvent brandi par les professeurs de lettres: ils se croient vraiment dans sa lignée, de son génie. Cela peut réellement faire rire.